Retrait de Gaza et l’avenir su sionisme

Yakov Rabkin
novembre 2005

Rédigé en novembre 2005.

Retrait de Gaza et l’avenir su sionisme

Yakov M Rabkin

L’évacuation des colonies sionistes de Gaza a retenu l’attention des médias depuis des semaines. Sa manipulation politique à part, la tragédie des colons déracinés est réelle. Ils ont tué et ont été tués afin de repousser et maintenir la frontière de l’entreprise sioniste. Les sacrifices qu’ils ont faits et qu’ils ont imposés sur les Arabes palestiniens sont également réels. La question qui hante une partie importante de ces colons est claire : quelle est le sens de nos sacrifices? Pourquoi avons-nous perdu nos fils et filles? À part ce questionnement déchirant et humain, il se pose également une question idéologique importante: «Tant pour les opposants que les partisans de l’occupation, ce qui est en question n’est pas l’essence du sionisme mais le sionisme tout court ».

C’est dans ces termes que définit le défi actuel la Dr Meyrav Wurmser, directrice d’un nouveau projet sur le sionisme au sein de la Fondation Hudson à Washington. Selon le quotidien israélien Haaretz, cette israélienne d’origine, mariée à un des néo-cons qui travaille pour le Vice-président Cheney ,est proche de l’administration du Président Bush. Le projet sur le sionisme répond tant au deuil existentiel que font des nombreux sionistes de leur rêve du Grand Israël qu’aux priorités politiques des Etats-Unis. « Un Israël faible et en déclin minerait la position stratégique des Etats-Unis au Moyen-Orient », admettent franchement les promoteurs du projet à la capitale états-unienne. L’enjeu est donc à la fois idéologique et politique. La Dr Wurmser se pose une question fort pertinente de nos jours : « Peut on avoir un sionisme qui ne serait pas juif? »

Cette question qui vient de la droite aux Etats-Unis ne doit pourtant pas paraître artificielle. La colonne vertébrale de la nouvelle droite est la Christian Coalition of America, l’allié indéfectible des national-religieux – et les plus motivés parmi eux, les colons de Gaza et de Cisjordanie, sans doute les sionistes les plus sincères au début du 21e siècle. Les deux groupes, animés chacun par une vision messianique d’Israël, maintiennent des liens étroits entre eux. L’État d’Israël cultive activement ses liens avec les sionistes chrétiens qui constituent une base d’appui inconditionnelle dans plusieurs pays du monde. « Le moment que je prononce le mot “ Israël ”, ils se mettent à chanter alléluia, m’a fait remarquer un diplomate israélien qui assure ces contacts. On ne peut imaginer un auditoire aussi bien disposé envers nous. » En même temps, les rabbins nationalistes qui bénéficient de l’aide des sionistes chrétiens tendent à tourner une oreille sourde au discours apocalyptique du sionisme chrétien qui affirme ouvertement que l’État d’Israël « est plus important pour les chrétiens que pour les juifs ». Il est alors logique que l’aide des Etats-Unis devrait outrepasser des livraisons d’armes et de fonds publics et privés et inclure également la composante idéologique de l’État sioniste, un des rares vestiges des grands projets de transformation collective qui animaient des millions de personnes au cours du 20e siècle. Il est sans doute ironique que c’est la droite américaine qui vient à l’aide du projet sioniste mis en œuvre largement par des socialistes russes, camarades idéologiques des bolcheviks.

La crise du sionisme est pourtant sérieuse et, parce qu’elle mine l’État d’Israël de l’intérieur, constitue une menace plus grave que l’opposition arabe et palestinienne. Il ne faut pas dédaigner le profond désarroi des colons dont certains comparaient l’évacuation de Gaza avec les déportations des juifs européens vers les camps d’extermination. D’autres portaient même l’étoile jaune en signe de protestation contre la transformation  de Gaza en une zone judenrein, terme qu’utilisaient les Nazis pour désigner un territoire « nettoyé » des juifs. Une femme s’est immolée devant les soldats à une des entrées à Gaza et se trouve actuellement aux soins intensifs. Le désillusionnement est énorme parce que c’est tout un rêve messianique qui s’est écroulé à Gaza. Selon Jacqueline Rose, l’auteur du livre récent The Question of Zion (La question de Sion), le sentiment messianique est inhérent au projet sioniste et habite, quoi que dans des formes différentes, tant les laïcs que les national-religieux. En ce cas là, l’évacuation de Gaza porte un coup dur à l’État sioniste qui pourrait alors muter en un État ordinaire. C’est que souhaitent ardemment beaucoup d’Israéliens fatigués du conflit interminable que provoque la vision sioniste qui postule qu’Israël appartient aux juifs du monde plutôt qu’à ses habitants, juifs ou non juifs. La bataille entre ces deux visions de l’État risque d’être farouche.

L’auteur est professeur d’histoire et membre du CERIUM, Centre d’études et de recherches internationales à l’Université de Montréal; son dernier livre s’intitule Au nom de la Torah: une histoire de l’opposition juive au sionisme (Québec, PUL) en italien Una minaccia interna. Storia dell’opposizione ebraica al sionismo ».

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