Interview : “Ces juifs qui disent non à Israël”- Telquel 24 juin 2004

Yakov Rabkin
24 juin 2004
Interview : “Ces juifs qui disent non à Israël”

Qu’un juif de la diaspora décrive l’histoire des anti-sionistes, cela fait jaser en Occident où le débat est inexistant. Chez nous, le livre de Yakov M. Rabkin* ne risque pas de passer inaperçu. Propos recueillis par Mehdi Sekkouri Alaoui

Vous insistez dans votre livre sur le fait qu’on assimile souvent les juifs aux Israéliens. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Les juifs qui se sentaient étrangers au sionisme, et qui étaient majoritaires au début, n’avaient pas pris au sérieux ce changement radical que proposait le mouvement sioniste. Étant donné que les sionistes puisaient leur légitimité du fait qu’ils parlaient au nom de tout le peuple juif, ceci a fait du chemin et l’assimilation est finalement devenue systématique. Ce que je trouve personnellement imprécis et dangereux parce qu’on fait une confusion entre religion et appartenance nationale. Les seuls juifs que les gens connaissent aujourd’hui sont les soldats israéliens, qui,souvent, ne sont pas juifs.

Comment se fait-il qu’au tournant du 20e siècle, la voix des anti-sionistes

sonnait haut et fort et qu’un siècle plus tard, les sionistes dominent les médias ?
Les rabbins et les juifs traditionnels dont je parle dans ce livre ne connaissent pas les technologies de communication. Il n’y a aucune commune mesure entre ce que fait tout un État aidé par toutes les organisations sionistes, et ce groupe qui ne s’occupe pas de façon assidue de transmettre son message au monde entier. En Israël, c’est assez ouvert, contrairement aux États-Unis ou en France, où il y a une espèce d’enthousiasme viscéral autour d’Israël qui empêche tout débat.Comment expliquez-vous le soutien aveugle et inconditionnel du gouvernement américain à l’égard d’Israël ?
Le facteur le plus important est la proximité du président Bush avec les sionistes chrétiens, donc la coalition chrétienne et ses 40 millions de personnes. Pour ce groupe, il n’y a pas de nuance. Il y a le bien et le mal et Israël est dans le camp du bien. Ces chrétiens donnent beaucoup plus d’argent à Israël que tous les juifs du monde, et leur soutien politique est de loin plus important, notamment au niveau des élections américaines. Dans leur vision des choses, il faut élire une personne qui va être de leur côté sur toutes sortes de questions qui les préoccupent, dont la question israélienne. Ce lobby chrétien fondamentaliste est beaucoup plus puissant et efficace que tout lobby que les juifs pourraient possiblement organiser.

Selon vous, quelles sont les limites de la politique barbare de Sharon ?
Je ne les connais pas.

Vous ne les connaissez pas ou vous ne voulez pas les connaître ?
Personnellement, je ne sais pas jusqu’où il peut aller. En tout cas, je pense qu’il n’est pas pourvu de limites morales.

Nombreux sont ceux qui considèrent que vous êtes quelqu’un en mal de publicité, qui a choisi volontairement la provocation pour attirer l’attention…
Écoutez, ce n’est pas à mon âge que je vais bâtir une carrière. Je suis plutôt quelqu’un qui met en avant des points de vue qui ne sont pas souvent présentés dans un but précis : la distinction entre judaisme et sionisme.

Etes-vous conscient que votre livre est en train de devenir une bible de la propagande palestinienne ?
Si le livre devient une bible et qu’il clarifie les esprits, j’en serai très heureux, et mon éditeur encore plus. Maintenant, en ce qui concerne mon vécu, il y a des gens qui sont scandalisés par ce que je fais. Plusieurs de mes amis m’ont en voulu parce que c’est un sujet tellement sensible, tellement viscéral qu’ils ont accusé un modérateur d’être Hitler.

Qu’avez-vous à répliquer ?
Comprenez que ceux que je cite et que je présente dans mon livre sont les piliers de la continuité juive, des gens qu’on connaît autrement que par leurs déclarations anti-sionistes. Ces juifs disent non à Israël. J’invite tout le monde à réfléchir et à faire trois pas en arrière, ainsi que le dit très joliment un rabbin : “En terminant une de leur prière, les juifs font trois pas en arrière et demandent à ce que Dieu fasse la paix sur terre”. Parfois, pour faire la paix, il faut faire trois pas en arrière !!

*Historien à l’Université de Montréal au Canada et spécialiste de l’histoire juive contemporaine

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