www.24heures.ch – Caroline Stevan. 24 juin 2004

Yakov Rabkin
24 juin 2004

CAROLINE STEVAN

Yakov M. Rabkin, historien juif et québecquois, était invité à la conférence pour un seul Etat démocratique au Proche-Orient, hier à l’Université de Lausanne. Rencontre.

C’est avec une kippa sur la tête que Yakov M. Rabkin a pris le micro hier matin à l’Université de Lausanne. Un peu plus tard, attablé au restaurant de la faculté, il s’est contenté d’une pomme et d’un peu de salade. Casher. Ce professeur d’histoire originaire de Montréal peut difficilement être taxé de mauvais juif. Fervent adversaire de l’idée sioniste, il explique dans un livre à paraître aujourd’hui, que là n’est pas la contradiction. Au contraire.

– Pour quelles raisons êtes-vous contre l’existence d’un Etat juif?

– Ceux qui gardent leur identité d’une manière stricte n’ont pas besoin d’un Etat. L’Etat ne garantit rien; il est même dangereux car il crée une identité nationale qui supplante l’identité religieuse. Un juif peut alors rester juif tout en arrêtant de pratiquer. Le retour physique en Israël enlève par ailleurs la dimension messianique de notre religion. Notre tradition, en outre, suppose une sanctification du judaïsme, or la majorité des gens se représentent aujourd’hui un juif comme un soldat tueur d’enfants. Il faut parler de l’Etat sioniste, non de l’Etat juif, idem pour ce qui est du lobby. C’est cet amalgame qui est la cause de l’augmentation récente des violences antisémites, en France notamment.

– Quels liens entretenez-vous avec Israël?

– J’y vais souvent, j’aime cette terre. Mais si le débat est généralement très ouvert, cette société reste la plus ségrégative que j’aie jamais connue. Un jour, alors que je donnais un séminaire dans une université arabe, je me suis retrouvé seul avec ma kippa au milieu des étudiants palestiniens. J’étais impressionné mais l’un d’eux s’est approché et m’a dit: “Bienvenue, tu es le premier juif pratiquant que je vois sans fusil!” Cette phrase me stimule aujourd’hui encore.

– Pensez-vous réellement que l’idée d’un seul Etat israélo-palestinien soit viable?

– Les Alsaciens pensaient-ils qu’un jour ils vivraient en paix entre la France et l’Allemagne? L’Etat sioniste à majorité juive n’a existé que de 1948 à 1967. Depuis, c’est un pays binational de fait, mais dont l’une des parties ne pèse aucun poids. Il faut créer des conditions favorables à un changement de la pensée et nous y arriverons peut-être.

– La constitution d’un seul Etat ne résoud pas pour autant la question du droit au retour des réfugiés palestiniens.

– La mise en place d’un système de compensation financière décent me paraît être une solution. Pourquoi n’y a-t-il pas de kamikaze à Lausanne? Personne ne veut le faire. Quand on n’a rien à perdre par contre…

– Quid de l’initiative de Genève?

– S’ils réussissent, j’applaudirai des deux mains. Ce qui m’importe est la fin de ce conflit. Cela dit, la direction dans laquelle nous sommes engagés me laisse sceptique quant à une solution à deux Etats. Présentez-moi le premier ministre qui fera évacuer les colonies!

– Vous n’êtes donc pas de ceux qui prônent un seul Etat au nom de la lutte contre la ségrégation?

– La Slovaquie et la Tchéquie ont bien décidé de se diviser. Qui serais-je pour le leur interdire si c’est là que se trouve la solution?

– La présence à cette manifestation de certaines personnes réputées proches des milieux antisémites a provoqué du remous. Quelle est votre opinion?

– C’était une erreur de les inviter. Ce n’est pas avec une attitude aggressive que l’on arrivera à la paix. L’élément indispensable est la compassion. Je trouve le discours de Sami Aldeeb un peu trop revendicateur et cela le rend peu utile. Je comprends la peine, mais les Israéliens savent tout cela. Ce dont ils ont besoin, c’est d’un sentiment de sécurité.

Utile : Une histoire de l’opposition juive au sionisme (2004, Presses de l’Université Laval).

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