Combien de communautés juives?

Yakov Rabkin
juin 2007

Écrit pour La Presse (Montréal) en juin 2007.

Combien de communautés juives ?

La rencontre de Mario Dumont avec le sénateur Léo Kolber et ses amis a fait la une de La Presse sous le titre “Mario Dumont courtisé par la communauté juive” (le 14 juin). Le lendemain La Presse publie une caricature de Mario Dumont coiffé d’un shtreiml, ce chapeau de fourrure que les hassidim portent les jours de fête et le sabbat. Et puis le Bnai Brith Canada accuse La Presse de racisme. Bien entendu, il ne s’agit point de racisme. Mais cet épisode soulève tout de même un problème qui mérite l’attention à cette période de fêtes nationales : la place des organismes communautaires dans la vie publique du Québec et du Canada.

On peut comprendre le caricaturiste : les juifs hassidiques sont plus faciles à identifier que Léo Kolber qu’on aurait du mal à distinguer parmi d’autres hommes d’affaire de sa classe, juifs, protestants, catholiques ou athées. Or, il en résulte en effet un amalgame illégitime qui maintient l’illusion de « la communauté juive », supposément avec des intérêts politiques et économiques qui lui sont propres. Or, il est évident qu’un Léo Kolber a beaucoup plus à voir avec un autre millionnaire, quelle que soit sa religion, qu’avec un étudiant du Talmud d’Outremont. À Montréal, comme dans d’autres grandes villes en Israël et ailleurs, il existe un e panoplie de communautés juives, avec des coutumes, des valeurs morales et des comportements très divergents. Coiffer tous les juifs d’un seul shtreiml relève d’une vision communautariste qui n’a plus de place dans notre société moderne.

Le même numéro de La Presse en donne un exemple convaincant. Une arabe musulmane, Samaa Elibyari, s’en prend à une autre, Fatima Houda-Pépin, au sujet de la place de l’islam dans notre société. Il est tout à fait normal que des personnes appartenant à la même religion ou à la même ethnie aient des visions opposées, voire incompatibles. Ils n’appartiennent à la même communauté que dans l’imagination de ceux qui considèrent « eux autres ». Faut-il rappeler l’évidence que les différences de classe jouent beaucoup plus que les différences de « race » dans la formation des idées politiques. Ce n’est pas pour rien que des ouvriers juifs ont joué un rôle si important dans l’histoire du syndicalisme québécois, souvent dirigé contre leurs patrons juifs.

Il est donc imprécis de parler de « la communauté juive ». Certains juifs ont formé des organisations politiques et parlent au nom de « tous les juifs ». Mais ils n’ont pas plus de légitimité que les bolcheviques qui parlaient au nom de « tous les ouvriers». Chaque juif, tout comme chaque musulman, sikh ou athée, peut s’exprimer librement sans passer par « les instances communautaires ». Le Canada et le Québec se sont dotés d’instruments juridiques et politiques afin de protéger les droits des minorités. La pratique de tous les paliers du gouvernement de consulter les instances communautaires avant de nommer à des postes importants (par exemple, juges) des citoyens issus des « communautés culturelles » nous paraît un vestige des temps révolus. Cette pratique sert à présenter ces communautés comme uniformes et occulter la diversité qui les caractérise. Elle porte atteinte également au statut de citoyen de chacun de nous.

C’est toujours de ce passé révolu que vient l’approche communautariste dont le Bnai Brith Canada est un beau vestige. Tout citoyen peut et doit pouvoir accéder directement aux instances du gouvernement sans passer par un intermédiaire juif, chinois ou italien. Dans ce sens nous applaudissons la position civile d’André Pratte lorsqu’il déclare suite à un incendie dans une école juive : « C’est notre école qui a été attaquée ».

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