Les juifs sont déchirés par l’action israélienne

Yakov Rabkin
janvier 2009

Publié en espagnol dans El Milenio (Mexico) le 14 janvier 2009

Les juifs sont déchirés par l’action israélienne

Par Yakov M Rabkin[1]

L’attaque israélienne contre les Palestiniens de Gaza a creusé davantage le fossé parmi les juifs au sujet d’Israël et du sionisme. Nombreux sont les juifs qui tentent d’aborder la question des contradictions existant entre le judaïsme tel qu’ils le professent et l’idéologie sioniste qui s’est emparée d’eux. Et ceci au moment où de profondes préoccupations sur ce que fait l’État d’Israël soulève l’ire des peuples à travers la planète, dont les juifs constituent à peine deux millièmes de la population.

Ce rappel est important vu l’ampleur des problèmes que soulève le comportement de l’État d’Israël qui prétend d’agir au nom de tous les juifs. Cette prétention est d’autant plus dangereuse que les médias à travers le monde associent automatiquement cet État avec les juifs en le surnommant « l’État juif » ou « l’État hébreu ». Les juifs de différents pays se trouvent donc otages des actes d’un État étranger dont ils n’ont aucun contrôle.

Certains juifs demandent maintenant publiquement si l’Etat  nation ethnique, source de la violence incessante au Moyen-Orient, est « bon pour les juifs. » Beaucoup parmi eux sont perturbés par le fait que le sionisme militant détruit les valeurs morales juives et met en danger les juifs en Israël et ailleurs. Cette discussion est également entrée dans le champ de la culture populaire : le dernier film israélien Valse avec Bachir se focalise sur le coût moral pour Israël qu’entraîne l’utilisation permanente de la force.

Or, certains juifs, tant en Israël qu’ailleurs ont depuis longtemps échangé leurs valeurs morales contre un nationalisme débridé. Ce sont eux qui se positionnent comme « les » représentants de « la » communauté juive. En fait, ils agissent comme agents de l’État d’Israël et, en le faisant, mettent en danger les juifs qu’ils prétendent représenter. Le lobby israélien aligné sur les positions des nationalistes de la droite israélienne vilipende toute critique d’Israël, dont plusieurs livres édités lors des dernières années – Prophets Outcast, Wrestling With Zion, The Question of Zion, The Myths of Zionism – tous écrits par des juifs qui sont préoccupés par ce même conflit entre le sionisme et les valeurs juives. Le lobby israélien dénonce tout juif qui proteste comme « traître » ou bien comme « juif qui se haït ». Mais l’ampleur de la protestation ne cesse d’augmenter. Elle couvre tout un spectre de juifs, des rabbins hassidiques d’un côté, en passant par l’ancien président de la Knesset, jusqu’aux anarchistes israéliens de l’autre.

Il y a quelques jours, à Londres, le rabbin Avraham Greenberg, barbu et en chapeau noir, brûle son passeport israélien devant une foule manifestant contre l’attaque israélienne. Dans une entrevue après la manifestation, il explique que la tradition juive, oblige tout juif à protester toute injustice, surtout si elle est commise au nom du judaïsme. Il n’offre aucune analyse politique de la réalité au Moyen-Orient, mais souligne que l’idée même d’un État réservé aux juifs, et le prix humain et moral qu’il exige, va a l’encontre de tout ce que le judaïsme enseigne, en particulier les valeurs clés de l’humilité, de la compassion et de la bonté. Il conclut que l’État d’Israël constitue « le plus grand danger pour les juifs ».

En Israël même, nombreux sont ceux qui s’opposent fermement à l’idée même d’attaquer Gaza. Le vétéran de la presse et de la politique israélienne Uri Avnery compare l’attaque au siège de Leningrad et le bombardement de Londres par les forces nazies lors de la Seconde guerre mondiale. Ce genre de comparaison – que peu de journaux occidentaux auraient osé publier de peur d’être accusé « d’antisémitisme » – est monnaie courante en Israël. En fait, les dénonciations les plus fermes de la politique israélienne proviennent des juifs israéliens qui sont autant divisés que leurs coreligionnaires ailleurs.

À Montréal, la succursale locale du groupement international Voix juives indépendantes/Independent Jewish Voices monte un piquet devant une synagogue qui sert de lieu d’un rassemblement sioniste pour appuyer – sans broncher – les actions d’Israël. Ils portent une pancarte « Juifs pour Gaza » et soulignent que « ce pays voyou » n’agit pas à leur nom.

Plus de six cents juifs ont signé un appel aux soldats israéliens de désobéir et de déserter. Cet appel est également signé par une brochette d’organisations juives, toutes opposées à ce que fait, voire ce qu’est l’État d’Israël. Car la dernière attaque israélienne souligne de nouveau un fait essentiel mais souvent occulté : c’est la vision sioniste de l’État d’Israël comme une ethnocratie exclusive qui est à la racine des violences qui secouent la Terre sainte depuis six décennies. Tandis que partout au monde, de l’Iran au Canada, les juifs vivent en paix parmi d’autres groupes, ce n’est qu’en Israël qu’ils se sont ségrégués dans un ghetto armé qui ne leur pourvoie guère la sécurité et menace tous les autres autour.

Il reste à voir si la rupture entre ceux qui s’en remettent a la tradition morale juive et les convertis au nationalisme juif peut un jour être réduite. Tous ceux qui perpétuent l’association automatique des juifs à l’État d’Israël ne font pas seulement une grave erreur : ils contribuent ainsi à la cause sioniste.


[1] L’auteur est professeur d’histoire à l’Université de Montréal; son dernier ouvrage est Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme (PUL).

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