Écrit pour La Presse (Montréal) en février 2009.
Le président israélien s’inquiète : Un État juif ou un État inclusif?
La parution de La Presse du 12 février contient quatre articles sur les récentes élections en Israël. Cette concentration sur un pays lointain et petit dont la population – 7 millions – est deux fois inférieure à celle de la ville de Tokyo, peut étonner. Mais elle est entièrement justifiée tant par les enjeux stratégiques que pose le conflit israélo-palestinien que par la place symbolique qu’occupe la Terre sainte dans l’imaginaire occidental. Or les quatre textes qui analysent les élections et ses conséquences pour la paix passent à côté d’un aspect fondamental du conflit que, fort heureusement, a soulevé le président d’Israël dans le Washington Post le jour même du scrutin.
Il est inhabituel pour le chef d’État qui, comme le Gouverneur général au Canada, est tenu de ne pas étaler ses opinions politiques, de s’adresser à la presse. Monsieur Peres est un vétéran qui appartient à la génération des fondateurs de l’État d’Israël, et tant la date que le lieu de son intervention sont significatifs. Le message que veut transmettre le président israélien se résume bien dans le titre : « Une région, deux États ».
L’auteur note l’essor d’« une minorité des experts en Moyen-Orient » appuyant l’idée d’un État libéral qui accueillerait tant les Israéliens que Palestiniens dans un même cadre politique. Cette solution n’a en fait rien de nouveau : lorsque les Nations Unies approuvent le plan de partage de la Palestine en 1947, alors sous le mandat britannique, tous sauf la minorité de colons sionistes refusent de diviser le pays. Ils préfèrent garder la Palestine indivise et accommoder les différents groupes ethniques et religieux dans le cadre d’un État libéral. C’est cette idée, que l’établissement de l’État d’Israël semblait enterrer pour toujours, qui refuse de disparaître et que le président israélien réfute. Il considère, à juste titre, que cette solution du conflit chronique en Terre sainte mine « la légitimité du droit d’exister d’un État juif souverain dans la terre de mes ancêtres». Il affirme que « le peuple juif n’acceptera jamais un arrangement qui signifie la fin d’un État juif». Or, nombre d’intellectuels juifs de renom, dont Tony Judt et le Prix Nobel Harold Pinter, appuient, eux aussi, cette idée.
Le président israélien savait bien que les nationalistes intransigeants, que la presse et la TV qualifient ouvertement comme fascistes, allaient en sortir gagnants. En effet, le parti qui a augmenté le plus sa représentation à la Knesset, Israël Beitenou, menait sa campagne sous le slogan « Allégeance ou citoyenneté ». Ce parti propose de soumettre les citoyens israéliens d’origine arabe à un test d’allégeance à « l’État d’Israël comme l’État du peuple juif ». En d’autres termes, ce parti offre aux Arabes israéliens, qui constituent à peu près 20% de la population, un choix : accepter le statut de citoyen de deuxième classe ou perdre la citoyenneté israélienne.
Il est à noter que le chef du parti, Avigdor Liberman, ainsi que la majorité de ses électeurs sont nés en URSS d’où ils ont émigré dans les dernières décennies. Par contre, les Arabes d’Israël sont des vestiges de la population palestinienne qui ont été chassés de leurs terres ancestrales afin de pouvoir établir un État juif. C’est ainsi que furent exilés des Palestiniens dont la majorité restent toujours dans les camps de réfugiés. Plusieurs historiens israéliens ont documenté ce nettoyage ethnique. Monsieur Liberman ne fait donc que suivre la logique de base de l’État sioniste et dit ce que le Président Peres, lui-même né en Pologne comme Szymon Perski, et la plupart des Israéliens n’osent pas dire tout haut. Liberman affirme que les colons juifs arrivés au courant du XXe siècle doivent jouir des privilèges qu’ils refusent aux indigènes. Il réaffirme ainsi le caractère colonial de l’État d’Israël.
L’idée d’un État sioniste établi contre la volonté de la majorité des habitants du pays et de tous les peuples avoisinants est un exploit militaire et politique. Or ce triomphe de la volonté engendre un conflit qui dure depuis six décennies. L’État d’Israël est de loin le plus fort dans la région mais cet État, «conçu dans le pécher» comme disent certains, n’arrive pas à se faire accepter. C’est pourquoi le lendemain de l’investiture de Barak Obama, le New York Times publie un article d’opinion qui propose une sorte de regime change: transformer l’État ethnique en un État libéral où trouveront sa place tant les Israéliens que les Palestiniens. Quelques jours plus tard, dans le même journal, le chroniqueur Thomas Friedman avertit que la colonisation israélienne de la Cisjordanie ne laisse guère de place pour un État palestinien. Le dimanche suivant la chaîne CBS diffuse un reportage montrant un traitement plutôt raciste des Palestiniens aux mains des colons sionistes.
Le Président Peres serait également au courant du récent ouvrage de son compatriote professeur Shlomo Sand qui prouve que les ancêtres des sionistes venus de l’Europe de l’Est ne sont pas les Judéens chassés par les Romains il y a deux millénaires. Pire, il cite nul autre que le fondateur de l’État d’Israël David Ben Gourion qui croyait que les vrais descendants des Judéens sont … les Palestiniens d’aujourd’hui. Ainsi l’argument de « la terre ancestrale» peut facilement devenir contre-productif.
Le mythe fondateur d’un État ethnique est en train de s’écrouler alors que le discours raciste dans la société israélienne devient de plus en plus explicite. La déségrégation l’État d’Israël qui le rendrait légitime aux yeux de ses voisins risque de plaire au nouveau président des États-Unis pour qui l’égalité et la mixité ne sont pas des mots vides. Or, les élections israéliennes ont mis en relief le rejet d’un projet de société inclusif au profit de la discrimination ethnique ancrée dans la nature actuelle de l’État d’Israël C’est cette menace existentielle au régime en place qui a fait le président israélien prendre la plume.