La terre sainte: au dela de la diplomatie

Yakov Rabkin
mai 2005

Publié en espagnol dans El Milenio (Mexico) en mai 2005.

LA TERRE SAINTE : AU DELA DE LA DIPLOMATIE

Yakov M Rabkin

La récente visite du Président de l’Autorité palestinienne à Washington et à Ottawa a provoqué des attentes prudentes au sein des Palestiniens. Ayant élu démocratiquement son président, les Palestiniens ont manifesté leur appui à la cause de la liberté que promeut, à sa façon, l’administration Bush. Ils se sont positionnés comme interlocuteurs légitimes des Israéliens dont certains, notamment l’ancien ministre de la Diaspora Natan Sharansky, en exigeaient des titres de noblesse démocratiques avant d’entamer des négociations. Une fois reçu à la Maison blanche, Mahmoud Abbas a acquit ainsi sa légitimité internationale. Il a reçu des promesses de contributions symboliques, tant à Washington qu’à Ottawa (par ailleurs, le gouvernement canadien s’est montré relativement plus généreux). En plus, un général américain devrait assurer une coordination entre l’armée israélienne et les forces palestiniennes lors du retrait de Gaza annoncé depuis décembre 2003. Sur le plan diplomatique, le processus de paix, la Feuille de route, semble avoir subi une réanimation. Mais qu’est ce qui passe sur le terrain?

La vie des Palestiniens reste dure. La misère, la sous-alimentation, le chômage affligent toujours une grande partie de cette population. Les territoires restent occupés, les points de contrôle (check points) empêchent une circulation normale parmi les villes et les villages, et le Mur continue à s’accaparer de plus en plus des territoires palestiniens. Israël apparaît comme le vainqueur incontestable de la seconde Intifada. La disparité économique entre les Palestiniens et les Israéliens est gigantesque, elle dépasse le ratio 1 :20.

Les Israéliens, en effet, vivent mieux. La menace d’explosions terroristes s’est dissipée. Les gens sont plus détendus, « le problème palestinien » devient plus distant et la presse n’en parle plus. Les difficultés socio-économiques des Israéliens s’aggravent mais il n’y a aucune commune mesure entre leur gravité et celle de la détresse des Palestiniens. La majorité des Israéliens ignore les conditions de vie des Palestiniens et ne s’y intéresse guère tant que les Palestiniens restent tranquilles. Tout semble revenir à la norme.

Par contre, ce sont les colons sionistes de Gaza qui se sont mis à déranger l’Israélien moyen. Les colons et leurs alliés politiques organisent des manifestations monstres au centre même du pays, créent des embouteillages sur les routes israéliennes et visent ainsi à empêcher toute évacuation des colons de Gaza. La police israélienne se montre plutôt efficace et arrive à disperser les manifestants sans recourir à la force.

Certains observateurs israéliens ont remarqué que la police traite les colons et leurs alliés avec beaucoup plus de considération qu’elle ne réserve aux citoyens arabes ou haredis (qu’on appelle parfois ultra-orthodoxes) d’Israël. On se souvient qu’au début de l’Intifada, la police a tué 13 personnes en dispersant une manifestation d’Arabes israéliens en Galilée. Plus récemment, les policiers israéliens ont fait des irruptions violentes dans des synagogues et des salles d’études de certains groupes juifs antisionistes, laissant derrière eux des blessés et des dizaines de livres profanés. On constate que le niveau de violence que se permet la police israélienne se calibre en fonction de l’affinité ethnique et politique : elle est plutôt tendre avec les colons qui sont sionistes, se déchaîne contre les « hommes en noir », ces juifs antisionistes qui ne reconnaissent pas la légitimité judaïque de l’État d’Israël et n’envoient pas leurs fils à l’armée, et déploie toute sa force létale en confrontant « les Arabes », qu’ils soient ou non citoyens israéliens. Le comportement de la police révèle un problème de fond que soulèvent beaucoup d’Israéliens : la culture politique d’Israël est celle de l’administration d’une communauté plutôt que celle d’un État qui veille au bien-être de tous ses citoyens.

La perspective d’une évacuation des colons sionistes de Gaza a également activé la discussion des principes de base de l’État d’Israël et de toute l’entreprise sioniste. Dans le quotidien Haaretz, l’avocat israélien Shamai Leibowitz propose d’accepter l’offre qu’a faite aux colons l’Autorité palestinienne : continuer à habiter les colonies à Gaza à condition de déposer les armes et se fier aux forces de sécurité palestiniennes. Cette offre touche à un point central de l’idéologie et de la pratique sionistes : « un juif sans arme compte autant qu’un juif mort ». » Continuer à habiter Gaza sous l’autorité palestinienne défie l’idéologie fondatrice du mouvement sioniste.

Les colons essaient plutôt de rester en place sous l’autorité israélienne. Ils veulent torpiller le projet d’évacuation et forcer l’armée israélienne de continuer à assumer le contrôle. Afin d’arriver à ce but, certains colons envisagent des provocations contres les lieux saints de l’islam afin d’attiser la violence et d’escamoter toute entente avec les Palestiniens. D’autres colons seraient prêts à évacuer Gaza, mais à un prix économique et politique tellement élevé pour que plus aucune évacuation ne soit même envisageable et que la Cisjordanie reste un terrain ouvert à la colonisation sioniste sans restriction. Les colons trouvent, comme d’habitude, l’appui inconditionnel chez les sionistes chrétiens, notamment chez la Christian Coalition of America, qui leur ait offert les services de quelques professionnels de la Madison Avenue afin de mettre en place une campagne de communication efficace.

Du côté du gouvernement Sharon, l’engagement d’évacuer Gaza reste fragile. Sharansky a quitté le gouvernement en l’accusant de vouloir « déloger les juifs de leurs terres ». Le discours reste profondément sioniste : il ne s’agit pas de rapports politiques entre gouvernements mais plutôt d’un projet à connotation messianique que Sharon, pourtant le héro de la colonisation sioniste des territoires occupés, mette en danger. Des menaces de mort sont proférées à l’adresse de Sharon, et les services de sécurité israéliens renforcent leurs activités de renseignement auprès des organisations des colons qu’ils essaient d’infiltrer. En même temps, on remarque qu’aucune construction n’est en marche afin de loger les colons que doivent quitter Gaza. Certains y voient un projet machiavélique dont l’objectif serait d’exhiber les souffrances des colons évacués et mobiliser ainsi à la cause des colons la majorité des Israéliens qui y reste toujours hostile. Le battage médiatique qui entoure juste la promesse d’évacuer Gaza rend le règlement définitif avec les Palestiniens et donc la fin du conflit en Israël/Palestine de plus en plus difficile à imaginer. L’été promet d’être chaud en Terre sainte et rien de permet d’affirmer qu’un seul soldat israélien aura été retiré de Gaza quand débuteront les pluies d’automne.

L’auteur est historien et membre du CÉRIUM (Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal). Son dernier ouvrage est Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme.

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