La question d’Israël : les falsifications ne sont guère étonnantes

Yakov Rabkin
septembre 2008

Écrit en septembre 2008 pour Le Devoir (Montréal)

La question d’Israël : les falsifications ne sont guère étonnantes

L’article de Frédéric Bastien qui rapportait les propos du Professeur Gerald Steinberg (Quand les ONG font de la politique”, le 22 septembre 2008) a bien mérité la réplique de Norman King de l’Amnistie internationale (“Amnistie internationale pour les droits civils”, le 1er octobre). King met en relief plusieurs falsifications que s’est permis le professeur israélien et qui ont été transmises au public par l’entremise de ce journal. Les professeurs aiment la précision et l’on pourrait s’étonner qu’un enseignant de carrière se permette ce genre de déviation.

Ce comportement n’est pourtant guère étonnant lorsque l’on se rend compte que Steinberg est collaborateur du Jerusalem Center for Public Affairs qui se situe très à droite dans l’opinion publique israélienne et maintient des liens privilégiés avec les lobbys sionistes tant aux États-Unis qu’au Canada. Des personnalités sionistes de droite, comme Alan Dershowitz qui justifie le recours à la torture et fait tout pour étouffer un débat ouvert sur la question d’Israël, collaborent au NGO Monitor que préside Steinberg. En fait, cet organisme fait partie de toute une brochette d’institutions que la droite sioniste a mis en place depuis quelques années afin d’empêcher une discussion impartiale des actes que commet Israël contre les Palestiniens: le UN Watch (dirigé par Hillel C. Neuer, ressortissant de Montréal), le Campus Watch, etc. Ces organismes mobilisent des fonds provenant des sionistes du monde entier et exercent une influence tangible sur l’opinion publique occidentale. Ils ont le droit de le faire, mais les médias ont l’obligation d’expliquer ce que font ces organismes dont le réseau s’est propagé à travers le monde.

Ces militants sionistes sont efficaces à passer leur message sans opposition car, en faisant l’amalgame entre l’État d’Israël et les juifs, ils qualifient d’antisémite toute opposition au discours de la droite sioniste ou à des politiques d’Israël. Cette tactique est bien connue et sert à étouffer un débat ouvert sur Israël. Bien entendu, Steinberg appartient à l’aile plus civilisée de la droite israélienne. L’extrême droite ne fait pas dans la dentelle et passe directement à l’acte. Le récent attentat contre le professeur Zeev Sternhell, qui dénonce régulièrement la colonisation des territoires occupés par Israël en 1967 et la vision du monde plutôt fascisante répandue parmi les colons s’inscrit dans toute une liste d’actes violents associés exclusivement à la droite sioniste.

Ce qui embarrasse la droite sioniste, ce sont les ONG israéliens comme B’tselem qui défend les droits des Palestiniens et qui vient d’inaugurer un bureau à Washington (www.btselem.org) ou l’Alternative Information Centre qui publie des analyses percutantes des politiques israéliennes à l’égard des Palestiniens (www.alternativenews.org ). Ces autres organismes collaborent souvent avec des homologues dans d’autres pays où plusieurs associations juives, dont la nôtre, leur prêtent de l’aide. Nous visons à convaincre le public que l’on doit discuter du comportement de l’État d’Israël comme on discute des agissements de n’importe quel autre État au monde, sans invoquer la mémoire de la Shoah ou le martyrologue des juifs en Europe chrétienne. Les fondateurs de l’État d’Israël avaient consciemment rompu avec les valeurs morales juives. Cet État qui constitue une rupture avec la continuité juive ne doit donc aucunement être considéré comme représentant des juifs. Il faudrait éviter des expressions comme « L’État juif » ou « L’État hébreu » qui servent à maintenir cette confusion tant déplorable que dangereuse.

Quand, lors de son passage à Montréal, on a demandé le journaliste israélien Gideon Lévy du journal Haaretz pourquoi il consacre tant d’articles aux exactions des sionistes contre les Palestiniens, il a répondu: « Pour qu’aucun sioniste ne puisse dire devant le futur tribunal international qu’il ne savait pas ce qu’Israël faisait aux Palestiniens ». L’expérience israélienne a profondément divisé tant les juifs que les Israéliens, et c’est dans ce contexte qu’il faut situer les propos du Professeur Steinberg que Norman King a bien fait de dénoncer.

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