Israël: la fuite en avant

Yakov Rabkin
juillet 2007

Juillet 2007.

ISRAËL : LA FUITE EN AVANT

Par Yakov Rabkin et Fred A. Reed
Sous la rubrique « libre opinion » (Le Devoir le 20 juillet), M. Marc Attali, Consul général d’Israël à Montréal, attribue à l’Iran l’instabilité et la violence que vit le Moyen-Orient. Cette affirmation reflète la position que le gouvernement d’Israël et ses alliés dans certains pays occidentaux articulent depuis plus d’un an. (On peut donc se demander si l’opinion de Marc Attali peut être qualifiée de « libre » ou mérite plutôt le statut d’un communiqué de presse de son gouvernement.)
Nous pouvons comprendre le désarroi du gouvernement israélien et de ses alliés occidentaux. De l’intérieur, de plus en plus d’Israéliens se mettent à douter le bien-fondé de la stratégie sioniste qui a établi un nouvel État au Moyen-Orient en dépossédant et expulsant la population locale. Cet État en expansion continue ne s’est jamais fixé de frontières et prétend appartenir aux juifs du monde entier plutôt qu’à ses citoyens juifs, musulmans, chrétiens ou athées. Cette vocation exceptionnelle provoque, selon l’ancien président de la Knesset (le parlement israélien) Avraham Burg, la violence dont souffre depuis des décennies la population israélienne et les Palestiniens occupés. Pessimiste quant à l’avenir d’Israël, il conseille à ses concitoyens de se munir de passeports étrangers le plus vite possible.

Aujourd’hui, alors qu’aucun pays arabe ne représente de menace militaire pour Israël, c’est l’Iran que redoutent de nombreux  Israéliens. En l’état actuel des choses, le discours officiel d’Israël ne peut que vouloir légitimer des frappes militaires contre l’Iran et par voie de conséquence, la poursuite de l’escalade  de la violence au Moyen-Orient. Cette fois-ci, encore une fois, Israël pourrait sortir victorieux. Mais les Israéliens n’en  continueront pas moins à vivre dans la crainte du prochain  ennemi. Serait-ce le Pakistan aux prises avec une présence islamiste importante et un arsenal nucléaire nullement imaginaire.

Pas étonnant alors que le Consul général d’Israël évoque « l’arsenal nucléaire iranien qui pointe à l’horizon ». L’argument fait partie d’une stratégie globale du lobby sioniste à provoquer une guerre contre l’Iran, sous prétexte de ses « ambitions nucléaires ». Venant du représentant d’un gouvernement dont le pays possède tout un arsenal nucléaire et dont les installations nucléaires échappent au contrôle international, un tel argument a de quoi interloquer.
Le même jour que Marc Attali publie sa « libre opinion », la Knesset approuve, en première lecture, une loi qui réserve aux juifs le droit d’acheter des terres appartenant au Fonds national juif. Cet organisme, qui bénéficie au Canada du statut d’un organisme de charité ayant droit aux déductions fiscales, a été l’arme principale de la colonisation sioniste depuis plus d’un siècle. En réaction à ce vote, le quotidien israélien Haaretz titrait son éditorial « État juif et raciste ».

À part ses pratiques discriminatoires interdites de nos jours en Occident, Israël est également considéré l’État le plus dangereux au monde. Une enquête réalisée par la BBC a trouvé que la population d’une trentaine de pays estime qu’Israël exerce la plus grande influence négative sur la paix mondiale (http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/6421597.stm). Tandis que les gouvernements, les médias et les élites économiques occidentaux continuent d’appuyer Israël, la population de ces mêmes pays maintient une opinion diamétralement opposée. Ce déficit démocratique rend l’appui dont jouit actuellement Israël très fragile. Des menaces existentielles  risquent fort de continuer à peser sur Israël, si ce pays ne  change pas de comportement et de structure. Il y a de quoi s’inquiéter et jeter la blâme ailleurs, en l’occurrence sur l’Iran.

Pourtant, quel que soit la manière de parler de son président, l’Iran n’a attaqué aucun autre pays depuis plus de trois cents ans. Son territoire historique a été charcuté à maintes reprises par des puissances étrangères. En 1980, avec la connivence sinon l’aide directe des Etats-Unis (on se souvient de la poignée de main entre feu le dictateur Saddam Hussein et M. Donald Rumsfeld), l’Irak l’a attaqué, déclenchant une guerre qui a duré huit ans et s’est soldée par des millions de morts et de blessés. À la différence d’Israël, que protège en Occident le puissant lobby sioniste, l’Iran est régulièrement démonisé dans les médias mais est, néanmoins, mieux coté qu’Israël dans l’opinion mondiale mise en relief par al BBC. En fait, le régime islamique iranien est en train de reconstruire l’État iranien dans son aire géopolitique traditionnelle. Il est là depuis plus de 2 500 ans, et abrite la plus importante communauté juive en terre musulmane.
Vouloir dissimuler les réactions des Palestiniens à la dépossession et l’humiliation comme l’œuvre de Téhéran, occulte le non-respect par Israël de nombreuses résolutions de l’ONU et de décisions de la Cour internationale, notamment au sujet du la barrière de séparation connue également comme le Mur de l’apartheid. On comprendrait pourquoi la fuite en avant resterait, pour le gouvernement d’Israël, la seule option possible. Or, cette option constitue une menace pour tous les peuples du Moyen-Orient et avant tout pour les Israéliens.
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Yakov M Rabkin est professeur titulaire au Département d’histoire à l’Université de Montréal; son dernier livre s’intitule Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme (Presses de l’université Laval).

Fred A Reed a écrit de nombreux ouvrages sur le Moyen Orient, y compris Iran : les mots du silence (Les 400 coups, 2006), dont il est co-auteur.

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