Paru dans Relations (Montréal) en décembre 2004

Yakov Rabkin
2004

Paru dans Relations (Montréal) en décembre 2004.

Yakov M. Rabkin

Au nom de la Torah: Une Histoire de l’opposition juive au sionisme

Les presses de l’Université Laval  2004

Les grandes organisation juives comme le Canadian Jewish Congress crée l’impression que les juifs sont unanimes dans leur appui de la politique de l’État hébreu,  un peu comme nos évêques aiment parler comme s’ils expriment les convictions de tous les catholiques. En réalité, il y a un grand débat parmi les juifs autour de l’État d’Israël.  Le sionisme était divisé dès le commencement entre des juifs qui respectaient les Palestiniens et voulaient partager le pays avec eux et les juifs qui rêvait de s’approprier du pays par la force. Ce débat a été encore rappelé par Shira Herzog dans un article récent du Globe and Mail (4 mai 2004).

Quand le mouvement sioniste fut créé à la fin du XIXe siècle, il ne représentait qu’une petite minorité parmi les juifs. Les juifs orthodoxes se sont opposés au sionisme parce que, selon eux, les juifs constituaient une communauté religieuse et non pas un peuple au sens politique. Les juifs libéraux avaient peu de sympathie pour le sionisme puisqu’ils promouvaient l’émancipation des juifs dans leur pays d’adoption. Et les juifs socialistes étaient en désaccord avec le but du sionisme car ils étaient engagés dans un mouvement visant la transformation de la société capitaliste. Ce n’était qu’après la deuxième guerre mondiale et l’Holocauste que la majorité des juifs ont appuyés l’idée du sionisme, la création d’un pays juif en Palestine où les juifs persécutés pouvaient trouver protection et  sécurité.

Pourtant certains groupes de juifs orthodoxes, appelés les haredim,  continuaient leur opposition contre le sionisme au nom de la Torah et refusaient de reconnaître l’État d’Israël fondé en 1948. Le livre de Yakov Rabkin, professeur à l’Université de Montréal, nous offre une histoire de cette opposition et une analyse détaillée des arguments donnés par les haredim. Même si l’auteur s’identifie avec la position prise par ces groupes, son livre n’est pas une polémique mais une étude scientifique de grande envergure. Il présente la pensée religieuse de plusieurs auteurs, la plupart d’allégeance orthodoxe, écrivant depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours.

Les haredim s’opposaient au sionisme dès le commencement. Ils ne voulaient pas que le messianisme religieux implicite au judaïsme soit transformé en un nationalisme politique. Ils rejetaient l’effort sioniste de remplacer la définition religieuse de l’existence juive par une définition laïque et politique. Selon eux, l’exile des juifs de la terre promise était une punition imposée à eux par Dieu à cause de leur infidélité à la Torah. Ils osaient  même suggérer que la Shoah a été, elle aussi, une punition divine, infligée à cause de l’infidélité des juifs à la Torah préférant l’assimilation libérale ou le virage au sionisme. Le retour ultime des juifs en terre d’Israël est une promesse divine que ne se réalisera pas par une lutte politique ni, à plus forte raison, par des actions militaires. Les heredim (souvent appelés ultra-orthodoxes) nient la vocation des juifs à constituer un état politique, ne reconnaissent pas l’État hébreu et préféreraient de vivre comme communauté séparée dans un État palestinien. Les fidèles ultra-orthodoxes regardent l’œuvre sacrée des juifs l’observance de tous les commandements de la Torah. Selon eux, le sionisme est une menace pour le  judaïsme authentique.

L’auteur nous raconte que des amis juifs lui ont demandé pourquoi il publie ce livre à ce moment où l’existence d’Israël est menacée et où les juifs ont un devoir de défendre leur État de façon unanime. Il réponds à ce défis que la démonstration que les juifs ne sont pas unanimes et qu’il y a un vrai débat entre eux autour du sionisme a des conséquence politique positives: elle élimine un argument utilisé par des antisémites qui identifient le sionisme avec le judaïsme et blâment tous les juifs de l’occupation de la Palestine.

Il faut avouer que les heredim représentent un courant théologique tout à fait minoritaire dans le judaïsme. Leur interprétation intégriste de la Bible n’inspire pas beaucoup de confiance, même aux lecteurs non-juifs. Pour démontrer qu’il y a un vrai débat dans la communauté juive autour de la politique israélienne, il faut étudier la vive discussion à l’intérieur du sionisme entre les faucons et les colombes.  L’opposition à l’occupation israélienne et aux colons établis sur le territoire palestinien est défendue par des arguments éthiques et  théologiques par deux célèbres rabbins aux É.-U., Michael Lerner et Arthur Waskow, le premier le fondateur de la revue Tikun et le second le directeur de Shalom Center à Philadelphie. On trouve leur organisations sur l’internet. Les deux rabbins sont des sionistes qui préconisent deux États en terre sainte et une coopération amicale entre les deux peuples. Au Canada, une voix juive demandant la justice pour les Palestiniens est la revue Outlook,  publiée à Vancouver. Le livre de Yakov Rabkin est brillant, fascinant à lire et écrit d’un style élégant, mais son continu audacieux, l’opposition radicale à l’État hébreux, ne mérite pas d’être pris au sérieux.

Gregory Baum

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