Abbas comme dernier espoir du sionisme

Yakov Rabkin
janvier 2005

Publié en espagnol dans El Milenio (México) en janvier 2005

ABBAS COMME DERNIER ESPOIR DU SIONISME

Yakov M Rabkin

Les dernières élections célébrées en territoires occupées de la Palestine inaugurent une nouvelle époque dans l’avancement de la démocratie. Elles démontrent que l’on peut insérer des procédures électorales apparemment normales dans un cadre d’une occupation militaire. Même si les enjeux présentés devant la population sont très restreints et le pouvoir de l’élu est sévèrement limité par la prépondérance des forces de l’occupation, les élections doivent démontrer avant tout que la population occupée jouit des droits démocratiques habituels. D’aucune diraient même que c’est grâce à cette occupation essentiellement bénigne et civilisatrice que les Palestiniens aient connu des vraies élections démocratiques.

Dans le contexte de la proximité parfois émouvante entre l’administration de Sharon et celle de Bush, il n’est pas étonnant de constater que le processus électoral que les forces de l’occupation ont prévu en Irak pour le 30 janvier renforcera l’image de l’occupant civilisateur. De toutes les raisons que le Président Bush a invoquées pour pouvoir déclencher l’invasion de l’Irak  – les armes de destruction massive, les liens entre Saddam Hossein et Al-Quaïda, le danger que représenterait le régime irakien pour la sécurité des Etats-Unis – il n’en reste qu’une seule qui pourrait convaincre certains de ses critiques : la transplantation de la démocratie au Moyen Orient. C’est pourquoi il faut voir les élections en Palestine occupée comme une répétition générale des élections en Irak et, qui sait, de toute une marche, nécessairement une marche forcée, des pays arabes et musulmans vers la démocratie.

ACCALMIE POSSIBLE

À part le contexte régional, quelle est la signification de l’élection de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autonomie palestinienne? En remplaçant Arafat, il montre au monde que les Palestiniens peuvent élire un président modéré. L’administration Sharon, accompagnée comme d’habitude par celle de Bush, insistait qu’Arafat fût « un obstacle à la paix ». Maintenant, Abbas doit prouver qu’il n’en est pas un. Collin Powell l’a déjà sommé d’imposer le contrôle sur la résistance armée palestinienne. Étant donné que Hamas avait approuvé les élections, on peut s’attendre qu’Abbas jouisse d’une certaine période d’accalmie lors de laquelle il devrait relancer les négociations avec Israël. Mais l’accalmie n’est jamais unilatérale; c’est l’armée israélienne qui doit alors se restreindre également.

Faut-il le rappeler que s’est Sharon lui-même qui avait provoqué la deuxième Intifada par son apparition « musclée » au Mont du Temple en septembre 2000. Il aurait mis le feu à un mélange explosif des frustrations des Palestiniens qui voyaient leurs territoires se rétrécir sous l’effet conjoint de la colonisation sioniste des territoires occupés et de la mise en place efficace par l’État d’Israël d’un réseau routier réservé aux colons. C’est sous les gouvernements travaillistes que cette colonisation avait commencé et avait connu son expansion la plus spectaculaire. Le processus d’Oslo, inauguré avec tant d’espoir par la poignée de mains entre Arafat et Rabin devant un Clinton rayonnant, n’avait fait qu’accélérer la colonisation. Le nombre de colons avait doublé. C’est comme si deux hommes négociaient comment partager une pizza pendant que l’un d’eux continuait d’en manger. Il faudrait s’en souvenir en évaluant l’effet de l’intégration de Peres et ses partisans au sein de l’administration Sharon.

EXPERT EN SIONISME

Abbas connaît bien le sionisme et ses dirigeants. Né à Safed en Galilée en 1935, il en est chassé avec sa famille vers al Syrie lors de la proclamation de l’État d’Israël en 1948. Sa propre histoire symbolise la Naqba, comme les Palestiniens appellent la catastrophe qu’ils subissent suite à cet événement politiquement et socialement sismique. En 1982, il défend à Moscou une thèse sur l’histoire du sionisme qu’il publie deux ans plus tard en arabe. Il remet en question la vision globalisante – et diabolique – du sionisme qui anime souvent la propagande arabe. Il distingue bien entre différents groupes qui existent au sein du camp sioniste, et il cultive des contacts avec des dissidents israéliens. Abbas distingue également entre les juifs et les sionistes, en reprenant plusieurs arguments que les opposants juifs du sionisme articulent depuis le début de ce mouvement nationaliste et en particulier à l’égard des réactions sionistes au génocide déferlé en Europe sous l’occupation nazi. Le nouveau président serait sans doute habile à semer des doutes sur les amalgames qui se font de plus en plus dans les média et le discours public en général entre les juifs de la diaspora et l’État d’Israël. Il pourrait se tourner vers certaines organisations juives aux Etats-Unis et en Europe afin d’encourager le gouvernement d’Israël d’évacuer, au moins partiellement, les territoires occupés.

OPTIONS DIPLOMATIQUES

C’est sur le plan diplomatique, le seul qu’il lui reste, qu’il devrait agir dans ce sens. Faisant face à un État d’Israël dont la domination militaire, économique et politique est totale, le nouveau président palestinien est essentiellement impuissant. Il est un truisme que dans toute négociation, c’est la partie dominante, plutôt que la dominée, qui doit faire des concessions afin d’arriver à un compromis. Or, la société israélienne dans son ensemble aurait des difficultés à se détacher des territoires occupés. Cette difficulté est manifeste dans la crise que l’administration Sharon est en train de vivre juste à cause d’une déclaration de son intention de se retirer de la bande de Gaza et de quelques petites colonies en Cisjordanie. Depuis cette déclaration faite il y a plus d’un an, les forces israéliennes ont continué leurs opérations policières et militaires à Gaza sans qu’aucun soldat en soit retiré. Les passions politiques entourant le retrait invoqué sont intenses et animent naturellement les média en mal de bonnes nouvelles de ce conflit chronique. Or, sur le terrain rien n’est changé, sauf que le nombre de colons sionistes ait continué de croître.

Dans ce contexte, la seule voie qu’il lui reste à emprunter est de raviver la sympathie des sociétés européennes qui, malgré la rectitude politique en vigueur selon laquelle tout antisionisme serait taxé d’antisémite, se montrent de plus en plus hostiles envers Israël et surtout sa pratique d’occupation. L’écart économique entre les Israéliens et les Palestiniens est actuellement gigantesque : il a atteint vingt-sept fois. Les Palestiniens vivent depuis le début de l’occupation en 1967 dans un espace monétaire et militaire commun avec Israël sans jouir des droits politiques propres à cet espace. Abbas pourrait mettre en évidence la malnutrition, la destruction et la dépossession dont souffrent les Palestiniens afin d’encourager les gouvernements et les ONG de s’engager massivement dans l’effort de réhabilitation des territoires occupés et de sa population.

Le gouvernement Bush avait appuyé Abbas dans les récentes élections qui constituent un précédent précieux pour les Etats-Unis ne sachant plus comment se retirer de l’Irak « avec honneur ». Abbas, en exhibant sa modération (et, rappelons-le, il n’a guère d’autre dans son arsenal) pourrait montrer même aux Américains que ce ne sont pas les Palestiniens qui empêchent la résolution de ce conflit dont les conséquences se propagent dans le monde entier comme une tache d’huile. Il a beaucoup de chemin à faire dans cette direction car, d’un côté, les préjugés anti-arabes et anti-musulmans restent assez forts aux Etats-Unis, et, de l’autre côté, les ressources dont disposent l’Autorité palestinienne en matière de communication extérieure se sont montrées plutôt inadéquates ces dernières années.

Vis-à-vis de la société israélienne Abbas n’aurait qu’un seul levier : la dernière possibilité que son élection représente de préserver l’État sioniste. De plus en plus de Palestiniens, désespérés par la colonisation continue de leurs territoires historiques, abandonnent le rêve d’un État palestinien et accueillent, souvent à contrecœur, l’idée de coexistence dans le cadre d’un État commun qui s’éteindrait du Jourdain à la Méditerranée. Cet État existe de fait depuis 1967 car la colonisation mine la nature sioniste d’Israël. Ayant créé cet espace commun, les sionistes ne savent plus comment trouver une solution qui maintiendrait leur contrôle des territoires tout en y réduisant la population arabe. Certains optent pour la déportation pure et simple des Palestiniens vers d’autres pays arabes. « Les Arabes ont déjà plus de deux dizaines de pays », clament leurs porte-parole. Mais beaucoup d’Israéliens, et sans doute la majorité des citoyens des pays occidentaux, abhorrent la perspective d’une telle déportation qui ainsi invaliderait à leurs yeux toute justification de l’existence d’Israël. Il reste donc Abbas qui devrait alors tailler un État palestinien des bribes de territoire qu’a laissés la colonisation sioniste. Dans cette optique, Abbas est le dernier espoir des sionistes.

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