Publié dans Kountrass News 61, novembre 2004

Yakov Rabkin
Novembre 2004

PUBLIÉ DANS KOUNTRASS NEWS 61, novembre 2004

http://kountras.magic.fr/index.php?publid=127&articleno=10

(Kisslew 5765 / Novembre 2004)

Livre : Une histoire de l’opposition juive au sionisme, au nom de la Tora, par Yakov M. Rabkin, éditions les Presses de l’Université Laval, Québec, 2004, 274 p.

Cet ouvrage veut apporter à l’ensemble des critiques émises de nos jours à l’égard de l’Etat d’Israël, en particulier par les post-sionistes, un élément nouveau et peu connu, celui de l’opposition orthodoxe « au nom de la Tora ».

Le livre est bien fait et bien documenté, et le lecteur peut certainement se faire une idée de ce que représente la position de certains éléments extrémistes au sein de l’orthodoxie juive face à l’Etat d’Israël, en particulier dans les milieux Netoré Karta (quelques familles !) et Satmar.

Ce sera en fait la critique première que l’on peut formuler au sujet de ce livre : ces groupes ne forment qu’une infime minorité de l’ensemble de la communauté juive de Tora actuelle, quelques personnes isolées pour les Netoré Karta, et une seule ‘hassidouth en ce qui concerne les gens de Satmar, bien que ce soit une cour ‘hassidique importante aux Etats-Unis. Il eut fallu, en toute honnêteté, que cela fût précisé – même si certaines idées en provenance de ces groupes sont admises assez largement dans le public orthodoxe.

De toute manière, présenter ces critiques d’une telle façon, sans rappeler la vérité historique dans toute sa réalité, c’est, ce nous semble, fausser le jeu. En effet, le « sionisme » naît dans l’entourage des disciples du Ba’al Chem Tov et dans ceux du Gaon de Vilna ! Ce sont eux qui ont initialisé le retour vers la Terre sainte en son temps, à la fin du XVIIIe siècle, et c’est grâce à la dynamique qu’ils ont entraînée, que tout s’est développé par la suite. Le sionisme laïc ne s’est greffé à ce projet qu’en cours de route, et a pris les choses en main, tout en lui donnant sa direction et lui appliquant sa conception (l’ouvrage en question rapporte largement les critiques que leur portaient le ‘Hafets ‘Hayim, puis son disciple, rav El’hanan Wasserman, – voir le dernier numéro du Magazine paru – ce qui est vrai. Mais le tout est de savoir à quel niveau cette critique se plaçait, visant les dirigeants, et non le principe tout entier). Il est tout à fait juste de dire, en particulier sur la question des relations à établir avec les Arabes, que les avis étaient totalement opposés, l’orthodoxie pensant qu’il fallait composer avec eux, et les sionistes nationalistes pensant que la manière forte serait la bonne – la majorité des Israéliens s’étant de nos jours rangés à la position orthodoxe, et admettant de gré ou de force qu’il faut composer avec les Palestiniens et leur concéder une formule étatique indépendante…

Mais même le judaïsme orthodoxe a pris lui-même un risque face aux Arabes qui habitent le pays, en venant s’y installer, et il en était conscient.

On peut dire qu’à ce niveau précis, le monde de la Tora est bien plus engagé encore que les plus grands nationalistes actuels : il pense que le pays appartient au peuple juif, les Arabes ne pouvant y rester que provisoirement (cf. le… Zohar, leur accordant ce droit de résider en Erets Israël tant que le mérite de la mila de Yichmaël leur donnera ce privilège), et attend toujours encore le jour où les Arabes seront expulsés d’Israël et que la Terre sainte nous reviendra entièrement – le jour où D. en décidera ainsi, que cela soit de nos jours, au plus tôt, avec la venue du Machia’h (cf. Beréchith/Genèse 15,18, « Du fleuve d’Egypte au grand fleuve, l’Euphrate », et Rachi ad loc, que cette grande expansion du peuple juif est prévue pour les temps futurs) !

C’est un point contre lequel même les Netoré Karta et Satmar ne peuvent s’opposer, c’est une réalité claire.

En conséquence, apporter ce dossier comme pièce complémentaire à la critique post-sioniste contemporaine est une erreur totale : les post-sionistes récusent en bloc tout droit au peuple juif à sa terre, toute l’histoire de la Terre promise, tout le passé du peuple juif et, à plus forte raison, tout son avenir ! Ce sont deux perspectives qui ne peuvent en rien se rencontrer.

On ne peut cependant reprocher à l’auteur de faire paraître sur la place publique un tel ouvrage (aux éditions de l’Université Laval !), parce que les Netoré Karta, en particulier aux Etats-Unis et au Canada, font de très grands efforts pour que leur message soit connu de la manière la plus large possible (annonces dans les grands journaux américains, présence lors de manifestations anti-israéliennes, y compris lors de la conférence de Durban, etc.). On peut fortement craindre qu’au nom d’une critique à usage interne, celle-ci risque fort d’apporter de l’eau au moulin de nos ennemis les plus implacables, ceux de l’intérieur – les historiens modernes – et ceux de l’extérieur, qui ne cherchent qu’à détruire Israël. Ces ennemis sont les nôtres, ceux de chacun d’entre nous, physiquement, que l’on ne se fasse pas d’illusions, et pas seulement l’« entité sioniste ».

Il nous semble que même le chef de file des Netoré Karta, le rav Amram Blau zal, évitait cela. Du reste, même Satmar critique ouvertement la conduite des Netoré Karta en cette matière.

L’un des éléments qui ressort de cet ouvrage, en ce qui concerne ces Juifs extrémistes émanant de notre communauté, est leur position face aux Arabes lorsqu’ils disent : « Nous vivions toujours dans une telle harmonie avec eux et nous nous arrangions toujours tellement bien avec eux » – ce qui est historiquement plus que discutable.

Ils pensent qu’il suffira, pour y parvenir, d’espérer que l’Etat d’Israël disparaisse, implose à l’image de l’URSS voici quelque temps, et que tout s’arrangera…

On peut se demander si une position tellement utopique – et tellement dangereuse – a sur quoi reposer : peut-être qu’au début des hostilités, dans les années trente, une telle issue était encore envisageable – et c’est la direction que Ya’aqov de Hahn a tenté d’emprunter à l’époque (il a été assassiné par ses frères juifs sionistes, à notre grande honte, parce qu’il professait une telle option). Mais, entre-temps, tout s’est dégradé, Israël s’est constitué en Etat, quatre guerres l’ont opposé aux Arabes, l’islam mondial s’est lancé dans une guerre internationale contre l’Occident – on n’hésite plus à parler de Troisième Guerre mondiale ! Le temps de la conciliation est dépassé, malheureusement, et toute démarche de rapprochement avec les Arabes est totalement caduque.

Lorsque des Netoré Karta vont rencontrer Arafat ou des sous-fifres à lui, qu’ils aillent dire des psaumes à Paris pour le rétablissement du raïs, lorsqu’un Juif de Méa Chéarim se complait à un titre de ministre des Affaires juives au sein du gouvernement d’Arafat, ils composent avec nos plus grands ennemis, et commettent une très grosse erreur – condamnée même par les milieux les plus proches d’eux, tels que Brisk ou certains rabbanim de la ‘Eida ha’harédith.

C’est une erreur aussi sur le plan de la pensée : admettons avec eux que tout le problème arabe ne naît que de par nos grandes fautes, celles d’avoir abandonné la Tora et de vouloir nous conduire comme si le Créateur du monde n’existait pas et ne pouvait intervenir dans le cours des événements. Il n’empêche que maintenant nos ennemis sont partout et ils n’espèrent qu’une seule chose, c’est de nous jeter à la mer, sans pitié aucune, nous les six millions de Juifs qui vivons en Terre sainte. Pour revenir enfin à cet ouvrage, il nous semble que l’auteur fait également une erreur quant à la « nature pacifiste » des Juifs orthodoxes. Le monde de la Tora s’est conduit tout au long de l’exil chez ‘Essaw selon la règle que nos Sages nous ont indiquée, celle d’accepter le joug de nos ennemis, ainsi qu’ils l’ont appris de ce qu’avait fait notre ancêtre Ya’aqov. Il en est de même face à Yichmaël, ainsi que l’indique le Rambam dans la Iguéreth Téman : « Nous avons pris sur nous le joug de cet exil ». C’est la raison pour laquelle le monde de la Tora n’était pas d’accord avec la conception des sionistes laïcs. Mais il ne s’agit pas d’un pacifisme de principe, à l’image d’un Gandhi indien. Le fait que, de nos jours, les orthodoxes s’opposent à ce que leurs jeunes fassent l’armée peut éventuellement donner une telle impression, mais c’est une erreur : ils pensent que leur « service » à la yechiva a au moins autant d’importance que celui d’un autre à l’armée, et ils constatent que, jusqu’à ce jour, l’armée représente un danger spirituel grave pour tout jeune qui y sert (et les résultats chez les jeunes émanant du groupe « sioniste-religieux » sont là pour le prouver, malheureusement. Du reste, leurs dirigeants avouent que l’armée fait fi de tout critère religieux, et ferment les classes préparatoires à l’armée, ne laissant que les Yechivoth Hesder ou le Na’hal ha’Harédi. La tendance, même dans ce milieu, est de plus en plus à profiter du sursis militaire pour cause d’étude de Tora). Donc, depuis plus de cinquante ans, jusqu’à ce jour, les jeunes orthodoxes qui étudient, jouissent – en toute légalité – d’un sursis de service militaire. Mais il nous paraît clair que si la situation changeait et que tout le peuple juif était en danger, que D. nous en préserve, tout orthodoxe prendrait les armes et participerait à la défense de ses frères.

Le fait est, toutefois, que D. protège Son peuple et que jamais nous n’en sommes arrivés à une telle situation extrême, et en outre, de nos jours, l’armée a tendance de plus en plus à se spécialiser et à exiger de moins en moins de cadres et de soldats, au profit de véritables professionnels.

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